Il faut imaginer une pièce d’un blanc immaculé. L’espace est si clair qu’on n’y distingue aucune limite. Il n’est pas dit qu’il y en ait : c’est peut-être infini ici, pourtant parfois, en marchant on se cogne contre une surface lisse qu’on ne perçoit qu’au toucher. Difficile de dire pour autant que ces murs sont toujours présents ; je crois qu’il m’est arrivé de marcher longtemps sans ne rien heurter. J’ai pu tourné en rond.
J’ai toujours vécu ici, pour autant que je m’en souvienne. Avec deux autres. Je dis qu’ils sont autres et pourtant parfois j’en doute. C’est difficile à dire encore une fois, parce qu’il y a peu de choses pour en juger ; à première vu ils sont bien deux entités différentes, avec des comportements qui leurs son propre, mais ici, dans ce blanc pur et soumis aux mêmes lois, je crois que nous partageons tellement de sentiments que nos gestes nous différencient à peine.
Nous ne parlons plus depuis longtemps. Est-ce que nous avons déjà parlé ? Sans doute au début ; quant encore on essayait de comprendre. Je pense qu’avant toute action d’envergure, j’entends d’action de vie, il y a une phase d’intellectualisation que suit la résignation. Quant il n’y a plus rien à comprendre, il faut bien admettre. Les grandes questions sur ce que nous pouvions être et concernant les raisons de notre existence ont été laissées de côté en même temps que nos dialogues. A quoi bon parler quand tout a été dit.
Si j’arrive encore aujourd’hui à nous différencier, c’est qu’a cet instant Bleu et Long, se sont mit à agir. Moi je n’ai plus jamais rien fait. Je me suis assis et j’ai commencé à rêver devant un hublot d’où sortaient quelques sons étranges. Ca n’est pas que leur entreprise me soit incompréhensible ; peut-être même que je les admire. Je suis un peu mesquin, et donner mon énergie gratuitement me coûte un peu. Bleu est plus généreux. Je le vois souvent taper sur quelque chose ; ce doit être le mur. Je l’entends crier et rager, courir, heurter sa limite et s’écrouler. Il reste parfois allongé longtemps, mais finit toujours par se relever pour recommencer. Je ne crois pas vraiment qu’il espère quoi que ce soit ; il fait ça pour s’occuper. Long est de l’autre côté. Il dessine. Je ne sais pas bien quoi. Il utilise ses doigts et sa salive, et s’applique à maquiller sa limite.
Je ne sais pas bien si Long, Bleu et moi ne sommes pas qu’un.